Aujourd'hui, 11 novembre, nous commémorons l'armistice du 11 novembre 1918, qui met fin aux combats de la Première Guerre mondiale. C'est l'occasion de rendre hommage aux hommes qui ont combattu, qui ont risqué ou perdu leur vie pour leur Patrie. On compte environ un million neuf cent mille jeunes Français décédés, "morts pour la France", et presque trois fois plus de blessés. Parmi ces jeunes hommes partis sur le front, on oublie parfois les hommes fusillés pour l'exemple, suite à des jugements, ou par décision arbitraire de leur hiérarchie, que le site "Mémoire des hommes" estimait à un peu plus d'un millier en 2014. Parmi eux, il y eut Henri Herduin, dont j'ai découvert la triste histoire car il était un compagnon d'armes d'un de mes grands oncles.
Henri Valentin Herduin est né le 5 juin 1881 au domicile de ses parents à Reims; il est le fils de Pierre Henry Herduin, tisseur, et de Joséphine Octavie Godbillion (1).
Le 27 octobre 1899, il s'engage à la mairie de Reims comme volontaire dans l'armée française, pour une durée de quatre ans. Il est intégré au 8ème régiment d'infanterie coloniale, qu'il rejoint quelques jours plus tard comme soldat de 1ère classe. Sa fiche de matricule militaire le décrit comme mesurant 1,68m, étant châtain aux yeux gris. En 1900, il est nommé secrétaire des services administratifs des corps expéditionnaires de Chine, où il part le 20 juillet 1900 pour un peu plus de trois ans. Il participe ainsi à l'expédition de la France et ses sept alliés contre la révolte des Boxers. A l'issue de ce premier engagement, Henri Herduin est caporal. Il reçoit la médaille commémorative de Chine. Il s'engage à nouveau le 30 avril 1903, pour une durée de trois ans (2).
Henri épouse Fernande Renée Nivoix le 11 mai 1907 à Reims. Il est alors sous-officier au 1er régiment d'infanterie coloniale, en garnison à Cherbourg (3). De leur mariage nait un fils, Luc Marcel Henri, le 13 mai 1912 à Reims (4).
Il renouvelle son engagement dans l'armée au fur et à mesure des années, jusqu'à la Grande Guerre. Il est alors adjudant-chef depuis le 1er février 1914, rattaché au 147ème régiment d'infanterie. Le 27 octobre 1914, il est promu sous-lieutenant à titre temporaire au 347ème régiment d'infanterie, et reçoit la médaille militaire le 24 avril 1915. Son régiment se trouve près de Verdun en juin 1916. Des articles de journaux, notamment un qui transcrit les propos d'un témoin de l'époque, relatent les évènements tragiques de ce mois de juin.
Le 8 juin 1916, la 2ème compagnie du 347ème régiment d'infanterie est en ligne dans le secteur de la ferme de Thiaumont, à Verdun. La compagnie, prise entre le feu ennemi et le feu français, est décimée. Les sous-lieutenants Henri Herduin et Pierre Millant tentent alors de joindre leurs officiers supérieurs en envoyant le sergent Bonnefon à Souville, toute communication radio étant coupée, information confirmée par le Journal des Marches et Opérations du 347ème régiment d'infanterie (5). L'attaque allemande est puissante, la 2ème compagnie, qui a perdu la grande majorité de ses hommes, commence à être encerclée. Sans nouvelle de leur hiérarchie, Herduin et Millant choisissent le retrait et vont mettre le reste de la 2ème compagnie à la disposition du commandant du 293ème régiment d'infanterie, qui leur dit ne pas avoir besoin d'eux et les renvoie vers leur régiment. Le 11 juin, ils rejoignent alors Fleury, où se trouve le reste du 347ème régiment d'infanterie, encadré par les capitaines Delaruelle et Gude.
Le même jour, à 17H, est apporté par le lieutenant Pierre de Saint Roman, proche du sous-lieutenant Herduin, l'ordre du colonel Bernard de fusiller Herduin et Millant, pour avoir "quitté le champ de bataille". Le capitaine Delaruelle envoie alors un coureur au colonel Bernard avec un courrier de sa part en faveur des jeunes sous-lieutenants et une lettre d'Herduin expliquant les raisons de leur retraite. A 17H30, la réponse du colonel, qui n'a pas pris la peine de décacheter les plis, contient une phrase : "Pas d'observation. Exécution immédiate". A 17H43, au Bois de Fleury, eut lieu l'exécution des deux sous-lieutenants. Le capitaine Gude commande le peloton d'exécution, et les condamnés sont accompagnés spirituellement par l'abbé Heintz, qui deviendra plus tard évêque de Metz. On écrira dans le journal du régiment qu'ils ont eu "une conduite et une tenue digne". Henri Herduin aurait lui-même déboutonné son dolman et commandé le feu. Ses derniers mots auraient été: "Mes enfants, Nous ne sommes pas des lâches. Il paraît que nous n’avons pas assez tenu. Il faut tenir jusqu’au bout pour la France. Je meurs en brave et en Français. Et maintenant visez bien ! Joue ! Feu ! "
Sa veuve est informée de sa mort par le lieutenant de Saint Roman, ami d'Henri, qui lui transmet une lettre, que ce dernier a pu rédiger avant son exécution:
"Ma petite femme adorée,
Nous avons, comme je te l'ai dit, subi un grave échec : tout mon bataillon a été pris par les Boches, sauf moi et quelques hommes, et, maintenant, on me reproche d'en être sorti; j'ai eu tort de ne pas me laisser prendre également. Maintenant, le colonel Bernard nous traite de lâches, les deux officiers qui restent, comme si, à trente ou quarante hommes, nous pouvions tenir comme huit cents. Enfin, je subis le sort, je n'ai aucune honte, mes camarades, qui me connaissent, savent que je n'étais pas un lâche. Mais avant de mourir, ma bonne Fernande, je pense à toi et à mon Luc. Réclame ma pension, tu y as droit. J'ai ma conscience tranquille, je veux mourir en commandant le peloton d'exécution devant mes hommes qui pleurent. Je t'embrasse pour la dernière fois comme un fou.
Crie, après ma mort, contre la justice militaire. Les chefs cherchent toujours des responsables. Ils en trouvent pour se dégager.
Mon trésor adoré, je t'embrasse encore d'un gros baiser, en songeant à tout notre bonheur passé. J'embrasse mon fils aimé qui n'aura pas à rougir de son père, qui avait fait tout son devoir. De Saint-Roman m'assiste. Dans mes derniers moments, j'ai vu l'abbé Heintz avant de mourir. Je vous embrasse tous. Toi encore, ainsi que mon Lulu. Dire que c'est la dernière fois que je t'écris. Oh ! mon bel ange, sois courageuse, pense à moi, et je te donne mon dernier et éternel baiser. Ma main est ferme et je meurs la conscience tranquille. Adieu, je t'aime. Je serai enterré au Bois de Fleury au nord de Verdun. De Saint-Roman pourra te donner tous les renseignements."
Henri Herduin et son compagnon d'infortune Pierre Millant sont enterrés en lisière du Bois de Fleury. Ils seront exhumés en 1919 pour être enterrés dans le cimetière militaire de Fleury. En 1920, sa veuve fait transférer sa dépouille dans le caveau familial de la famille Herduin à Reims.
Fernande Herduin, conformément à la demande de son époux dans sa dernière lettre, se bat pour sa réhabilitation pendant plusieurs années, soutenue par son avocat, maître Alphonse Bombin, et la section rémoise de la Ligue des droits de l'homme. Le fils unique d'Henri, Luc, est adopté "pupille de la Nation" par jugement du tribunal civil de Paris du 24 mars 1920. Après différentes démarches pour demander des informations auprès des autorités militaires, elle finit par recevoir un courrier lui spécifiant que son mari n'a fait l'objet d'aucune condamnation par un tribunal militaire et qu'elle peut ainsi prétendre à sa pension de veuve. Insatisfaite de cette simple réponse pécuniaire, elle porte plainte pour assassinat contre le colonel Bernard, plainte qui sera classée sans suite. Fernande doit aussi se battre contre la radiation de la mention "mort pour la France" sur le certificat de décès de son époux. En effet, une loi de 1915 spécifie que cette mention ne doit s'appliquer que pour les hommes décédés de blessures ou maladies contractées sur le champ de bataille. Elle n'obtiendra gain de cause qu'en 1922. Le journal "l'Humanité", dans son édition du 21 juin 1921, consacre une partie de sa une à l'affaire Herduin-Millant et ose accuser publiquement le général Boyer et le colonel Bernard, ainsi que le président de la République : "J'accuse formellement le colonel Bernard et le général Boyer d'être leurs assassins ! J'accuse M Millerand, président de la République, et vous-même d'avoir commis une forfaiture en couvrant volontairement ce crime ! ". Quelques jours plus tard, le journal "La Presse" publie deux articles tentant de justifier l'exécution d'Herduin et Millant. Cela vaudra au journaliste de perdre son procès en diffamation intenté par les familles Herduin et Millant. Le ministre de la guerre Louis Barthou réagit alors enfin officiellement à l'affaire Herduin-Millant. Tout en n'accusant pas les officiers responsables de la mort des deux hommes, il offre une compensation financière à leurs familles, et met le général Boyer à la retraite. En 1924, La ligue des droits de l'homme, appuyée par des députés communistes fait adopter une loi créant la possibilité de réhabiliter les soldats exécutés sans jugement, sans nécessiter un passage par des voies judiciaires. Sous la bonne intention de faciliter les démarches des familles, cela permet également de soulager les officiers potentiellement incriminés de toute inquiétude judiciaire...
Il faudra attendre la décision de la Cour d'appel de Colmar, le 20 mai 1926, pour voir la réhabilitation posthume officielle en faveur d'Henri Herduin et Pierre Millant.
Sources:
(1) archives départementales de la Marne, Reims, naissances, 1881, cote 2 E 534/290
(2) archives départementales de la Marne, Reims, registres matricules, 1901, cote 1 R 1274
(3) archives départementales de la Marne, Reims, mariages, 1907, cote 2 E 534/680
(4) archives départementales de la Marne, Reims, naissances, 1912, cote 2 E 534/613
(5) Mémoires des Hommes, JMO, 347ème régiment d'infanterie, 12 mars-22 juin 1916, cote 26 N 758/3
Retronews:
"Les cahiers des droits de l'homme", article dans l'édition du 10/01/1921
"La bonne guerre", article dans l'édition du 18/09/1920
"Le journal du Cher", article dans l'édition du 26/10/1921
"L'Humanité", une de l'édition du 21/06/1921
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