Le 8 mars 1875, Jean Fradon assassine sa femme et tente d'assassiner sa mère. Retour sur ce fait divers qui a secoué la campagne girondine...
Jean Fradon nait le 2 juin 1838 à Cubnezais. Il est le fils de Barthélémy Fradon, forgeron, et de Marie Niaud, cultivatrice. Le couple s’est marié le 6 juin 1836 à Cubnezais (1).
Barthélémy et Jeanne accueillent un autre fils, également prénommé Jean, le 4 novembre 1842 (2), qui décède en bas-âge, le 13 octobre 1843 (3). Jean grandit donc en fils unique, dans une famille aimante et travailleuse. Son père voyage beaucoup pour son travail d’horlogier-forgeron, et sa mère cultive la terre, aidée par sa propre mère et plus tard par sa belle-fille. Dès l’adolescence, Jean se montre agressif envers sa mère, à laquelle il tente régulièrement de soutirer de l’argent, à grands coups d’insultes et de crachats au visage.
Devenu adulte, Jean apprécie particulièrement la chasse, passion à laquelle il s’adonne dès qu’il peut. Il est décrit dans un article de presse comme étant « de haute taille, de forte encolure, avec des cheveux abondants et une barbe peu fournie, le teint jaune, les yeux petits et enfoncés, l’attitude en dessous, le regard oblique, l’aspect assez inoffensif » (4). L’aspect inoffensif n’est qu’une apparence, en effet, Jean a une très mauvaise réputation dans le canton de Saint Savin. Il est perçu comme un ivrogne paresseux et vindicatif. Il montre une certaine agressivité envers ses proches mais aussi avec le voisinage, ayant notamment été condamné à deux reprises à six jours puis treize mois de prison pour des menaces de mort à l’égard de ses parents et de ses voisins.
Jean Fradon se marie avec Marie Nivet, qui l’aurait épousé par amour, le 12 septembre 1859 à Pugnac (5). La jeune femme, âgée de seize ans, née le 23 janvier 1843 à Pugnac (6), est la fille de Jean Nivet, marchand de bétail, et de Marie Petit, résidant dans cette commune. Marie Nivet-Fradon donne naissance à un fils, Jean, le 18 juin 1861 à Cubnezais (7). Jean Fradon s’essaie à la culture à partir de 1868, quand ses parents consentent à lui céder un bail à ferme ; au bout de deux ans, la terre est en friche… et les dettes se sont accumulées.
Les tensions entre Jean et ses proches ne font que croître, et le ressentiment de Jean est de plus en plus marqué. Le 8 mars 1875, il se rend, armé d’un fusil chargé, dans un des champs familiaux où travaillent sa femme et sa mère. Après quelques échanges au sujet de son chien, il fait mine de partir avant de se retourner et de tirer vers les deux femmes. Son épouse meurt quelques instants plus tard, blessée à la poitrine. Il laisse derrière lui sa mère, grièvement blessée au flanc. Alors que les voisins, alertés par les cris, accourent auprès des victimes, Jean met son fusil sur son épaule et va se rendre à la gendarmerie, racontant à tous ceux qu’il croise son méfait (8). Il est arrêté et transféré à la maison d’arrêt de Blaye.
Suite à une procédure instruite par le Tribunal de Première Instance de l’arrondissement de Blaye, Jean Fradon comparait devant la chambre des mises en accusation de la Cour d’appel de Bordeaux le 29 mai 1875 (9). Il est prévenu "d’assassinat et de tentative de parricide". Après lecture du rapport rédigé par M. Peyrecave, substitut du Procureur Général, ce dernier requiert la mise en accusation de Jean Fradon et son renvoi devant la Cour d’assises de la Gironde (10). Le mobile qu’il met en avant pour justifier la tentative de meurtre envers sa mère est que ses parents ne souhaitaient pas lui céder leurs biens. Quant à son épouse, qualifiée « d’exemplaire et dévouée » par son entourage, il semble lui vouer une haine « implacable », sans raison fondée. Ces derniers éléments, ainsi que ses antécédents, font retenir à la Justice la préméditation pour ses crimes. Jean Fradon n’exprime aucun remord mais en revanche exprime la satisfaction de sa « vengeance ». Il est transféré à la Maison de Justice de Bordeaux, le temps de passer en Cour d’assises.
Le 18 juin 1875, assisté de Maître Lansade, son avocat, Jean Fradon parait ainsi devant la Cour d’assises de la Gironde. Il y est reconnu coupable d’assassinat avec préméditation pour son épouse, et de tentative de parricide pour sa mère. La Cour le condamne à la peine de mort, et au remboursement des frais de procédure engagés, à savoir quatre cent quatre-vingt-dix-neuf francs et quarante-trois centimes.
Le 2 août 1875, il est réveillé à 4h du matin. Vers 5h, après avoir entendu la messe et avoir communié, il est conduit pieds-nus, la tête couverte d’un voile noir, vers l’échafaud. Il y est « exposé » pendant la lecture à voix haute de la sentence par l’huissier, et immédiatement mis à mort (11). Cela faisait 14 ans qu’il n’y avait pas eu d’exécution de condamné à mort à Bordeaux, la dernière datant de juin 1861.
La mère de Jean Fradon, Marie Niaud, restera lourdement handicapée et ne peut se mobiliser qu’à l’aide de béquilles. Elle décède le 28 février 1878 à Cubnezais (12). Son mari, Barthélémy Fradon, décède le 10 novembre de la même année à Cubnezais. Jean, le fils de Jean Fradon et Marie Nivet épouse Marie Mallet, avec laquelle il a deux fils, Jean, né le 11 août 1885 à Cubnezais (13), et Pierre, né le 2 mai 1894 à Cubnezais (14). Il sera propriétaire cultivateur et décèdera le 7 juillet 1921 à Cubnezais (15).
Sources
(1) AD de la Gironde, cote 4 E 6727
(2) Archives départementales de la Gironde, cote 4 E 6720
(3) Archives départementales de la Gironde, cote 4 E 6736
(4) « La Petite Gironde », 20 juin 1875
(5) Archives départementales de la Gironde, cote 4 E 10387
(6) Archives départementales de la Gironde, cote 4 E 10379
(7) Archives départementales de la Gironde, cote 4 E 6722
(8) « L’Espérance », 27 juin 1875
(9) Archives départementales de la Gironde, cote 2 U 712
(10) Archives départementales de la Gironde, cote 2 U 217
(11) « La Dépêche », 4 août 1875
(12) Archives départementales de la Gironde, cote 4 E 6739
(13) Archives départementales de la Gironde, cote 4 E 16560
(14) Archives départementales de la Gironde, cote 4 E 16561
(15) Archives départementales de la Gironde, cote 4 E 27524
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